Réveiller la Mayenne assoupie au petit matin est d’une intenable douceur. Il a fallu hâter le pas discrètement sur la D4 pour quitter Villiers-Champagne et ses 3 étoiles.
Après une journée passée à ses côtés la veille, l’émotion est aussi forte que les doutes sont idiots. Sera-t-elle toujours aussi disponible et généreuse ?
Ce n’est pas le genre de question qu’on se pose sur une rivière. Il suffit de l’accepter et de la suivre.
T’occupe de rien. Je te guide.
À 8 heures du matin un lundi, les bruits chuchotent. Les craquements du bois sont étouffés. Les frémissements dans les buissons se font discrets et tranquilles. L’eau de la rivière oscille à peine. Le monde grouille en silence.
Des arbres la masquent régulièrement, puis elle réapparaît dans une ouverture. Paisible. Sereine. De toute beauté. La légère oscillation de l’eau comme respiration.
Personne ne résiste à une rivière qui somnole paisiblement à côté de soi.
T’étais où ?
Nul part. Mangé une quiche fadasse dans une mie câline qui porte mal son nom dans un centre ville en tracé plat bien qu’en hauteur, celui de Chateau-Gontier-sur-Mayenne.
Avoir un nom à rallonge pareil pour offrir un centre ville en mort cérébrale, franchement… ah, il y a des drapeaux de tout plein de pays sur le square, c’est sûr.
C’est moche un centre ville fait de boutiques inutiles.
Au Ménil, un étal au pied d’un camping propose pêches, tomates et concombres. Ravito. Il faudra contourner le village par la route pour la retrouver. Que la douceur redevienne la norme. Ses courbes comme des boutons de chemisier.
On est attablé avec quelqu’un. On se lève pour se rendre aux toilettes. On revient, et le bouton de chemisier — pas celui du col, celui juste en dessous, celui de trop — est défait. Il ne l’était pas avant.
Ce n’est ni une proposition ni même une suggestion.
Au mieux, une éventualité.
Exactement ce que propose chaque courbe de la Mayenne. Des éventualités. Celle de rester pantois devant un champ à perte de vue, un pâturage investi par des vaches tranquilles, des flamands roses géants, un clocher qui perce à travers les arbres, un enchevêtrement de fougères défiant le soleil, un empilement de couches et de textures dont l’œil néophyte en comprend à peine la fonction mais en saisit la beauté.
L’éventualité d’assouvir un besoin essentiel : faire respirer la vue. L’horizon, c’est l’oxygène des yeux.
Et chaque courbe, chaque bouton de chemisier, de dire :
Garde les yeux bien ouverts. Prépare-toi à reprendre ton souffle.
Cligner des yeux. Et rire et pleurer.
T’étais où ?
Nul part. Un rapide détour par la D187 entre la Roche et Montreuil-sur-Maine. D’autres horizons. L’espace de quelques kilomètres. Me revoilà.
À 2,1 km de Lion-d’Angers, un panneau invite à rejoindre la ville à travers les haras, les chemins de terre, les étroits chemins de terre OH PUTAIN MAIS ÇA DESCEND VACHEMENT D’UN COUP C’EST QUOI CES RONCES. L’arrivée se fait en longeant l’Oudon puis en traversant le pont pour atterrir un peu plus haut, au café des sports.
J’mets une rondelle de citron avec votre Perrier ?
Alors là c’est un petit plaisir que vos m’offrez, madame.
Par contre, on va s’arrêter au Perrier rondelle…
Elle part en riant, satisfaite du sous-entendu.
T’étais où ?
Toute la journée. Pour peu que je m’éloigne de ses courbes, elle semblait poser cette question. Pas un reproche. Juste une curiosité. Puisque les instants ensemble passent en douceur, à quoi bon se séparer.
Rien de spécial. Juste bu un Perrier rondelle au Café des sports avec les copains. Puis il a fallu sortir de la ville, traverser la zone industrielle puante et bruyante, grimper la côte, redescendre à Grez-Neuville, coquette bourgade au port de plaisance charmant et bien rempli. Me revoilà.
Une rivière qui te parle, ce n’est pas vraiment possible, on est bien d’accord ?
Une éventualité ?
Je vais te mettre sur le 8, il est à l’ombre.
La petite soixantaine de bornes suffira pour aujourd’hui. La chaleur dégomme - il est midi passées. Avec la centaine d’hier, la moyenne à 80 kilomètres sur les 2 derniers jours est honorable.
Le bivouac sur le 7 n’est pas occupé. Si tu veux, tu peux squatter les chaises pour écrire ou glander à l’ombre.
Tu lis dans mes pensées.
Il est tôt. Déplier la tente, croquer des tomates et des pêches, se doucher, faire une lessive, l’ét…
Tu bois 12 litres de coca zéro aujourd’hui ok ?
R. vient aux nouvelles. Ce sera eau plate, tomates et pêches. Au camping municipal de Truillé, littéralement à dix pas de la Mayenne. Savourer sa compagnie jusqu’au bout - chaque seconde comme un privilège. Affalé sur l’une des chaises du bivouac en dur, avec lampions et prise électrique pour recharger son téléphone. Le réseau est capricieux : la 5G n’est même pas une éventualité, la 4G à peine une suggestion, la 3G une proposition en peine.
Qu’importe. Le bureau idéal pour toutes celles et ceux qui ne veulent surtout pas travailler.
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