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Film catastrophe

Tout est bien qui finit bien

Les tomates font de la place aux poireaux — quelques unes finiront dans une poche de tissu. Les fraises tardives persévèrent à côté des endives lumineuses leur faisant de l’ombre; ces dernières finiront elles aussi emballées. Les figues, délicates, ont leur espace réservé pour un temps limité, elles disparaitront vite, autant leur mettre la main dessus. Les poires encore trop fermes et les pommes déjà solides prennent de plus en plus de place — une main gantée d’une mitaine en saisit une puis d’autres avant de les glisser dans une poche de tissu. La manche longue d’un sweat shirt épais recouvre le bras, dénudé il y a encore quelques semaines. Les gestes sont énergiques pour maintenir la température corporelle. Un étal de marché, c’est un baromètre des couleurs du temps qui passe.

Au bord de la Loire, le vert s’assombrit ici, s’éclaircit là, mais l’ocre et le carmin se font encore timides. Le vent frais ralentit le coup de pédale ; le brillant du soleil et le bleu du ciel étirent le sourire niais du cycliste.

En terrasse, le croque-madame arrive fumant et fondant, sa chaleur et ses calories permettent d’apprécier le moment, emmitouflé et statique.

Dans les rues ombragées, la veste en cuir souple protège de la fraîche réalité ; dans les plus lumineuses, elle vire à l’étuve. La marche au milieu de la foule en repos hebdomadaire sera énergique, tant pis pour la sueur.

À l’heure où les terrasses noircissent et les esprits s’échauffent, les nuages font de même, et l’humidité s’incruste. Le rythme adopté plus tôt — énergique — sera celui du trajet jusqu’à la terrasse offrant un creux libre au milieu du noir du monde. Un retard prononcé sera un cadeau surprise, l’occasion de la meilleure activité du monde : observer. Avec une figure imposée : ne pas inventer, supposer, extrapoler ni, en creux, juger. Simplement observer : une veste imperméable ici, un long manteau là, un parapluie fourré dans un sac plus loin, les serveurs aux tenues bariolées ici et là, un groupe d’hommes qui plaisantent à quelques mètres, une famille voisine de table qui reprend la route pour rentrer aux Sables, des sacs de courses plein les mains — s’installer à leur table après leur départ pour être à l’abri de l’avenir proche. Lorsqu’observer lasse, se souvenir prend le relais : à la première bouchée du fumant fondant, un couple âgé, elle a froid, il l’invite à entrer pour déjeuner à l’intérieur. Ils étaient beaux avec leurs peaux fripées et les grimaces de leurs années.

Elle met un terme à son retard prononcé, emmitouflée dans un épais manteau. Elle dandine et se trémousse quand un morceau lui parle, sirote ses cocktails comme d’autres un lait fraise — avec gourmandise –, suit ton regard où qu’il aille s’il se détourne du sien. Elle tombe la veste une, deux, trois fois pour aller aux toilettes une, deux, trois fois, elle frisonne à chaque fois avant de s’engouffrer à l’intérieur. Lorsqu’elle revient, elle se pelotonne comme dans une couette et reprend son lait fraise. Les nuages échauffés et noircis craquent, la pluie s’en mêle, l’humidité pose ses valoches pour la soirée, elle en profite pour vider son sac. Elle desserre la grimace qui a déformé son visage toute la semaine. Tu hoches la tête, te risques à un commentaire, elle poursuit, elle parle, elle est déçue, elle sirote, tu hoches la tête, tu relances, elle poursuit, elle parle, elle est déçue, elle sirote, puis elle s’essouffle, apaisée pour un temps, et un peu ivre.

Sur le chemin du retour, les pavés brillent. Le lendemain, le jeu consiste à ne pas franchir le pas de la porte — le gris s’est installé.

La conclusion ne s’impose que quelques jours plus tard alors que le retard de votre OUIGO numéro 7624 prévu le 09/10/2024 à 18:39 est maintenant estimé à 1 heure 30 minutes au départ de Nantes. Motif: Conditions météorologiques. Conséquence : textos et photos depuis la gare.

    Wouaaaaaah
    On dirait le plan final d’un film catastrophe où tout finit bien.

L’automne est là.

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