Il y a des évènements que certaines et certains planifient des mois à l’avance: un mariage, des vacances, un séjour en famille. Puis il y a les mouches qui te piquent.
Quand on est une mémé, lesdites mouches sont loin d’être fifolles. Mais comme tu t’es fait piquer, c’est foutu.
Ça commence par un paquetage: des casse-dalles, de l’eau, 3 clopes1 et quelques bricoles. Puis le moment vient de monter en selle. La chaîne du vélo mériterait d’être graissée et retendue, le mordant des freins ajusté, mais Black Mamba reste opé, comme chaque jour depuis des années. Ouaip, j’ai donné un nom à mon vélo.
Repérer le trajet ne sert à rien: il suffit de traverser l’île de Nantes pour se retrouver sud Loire. Alors le trajet est ultra-balisé2. Raconter chaque kilomètre serait d’un ennui sans fond pour le lecteur de passage ou l’habitué de ces lignes. Quelques bribes éparses et décousues feront l’affaire3.
Pause coca clope au restaurant La Martinière, au début du canal éponyme, après un peu plus de 25 kilomètres. La localisation dudit resto et ses murs colorés sont une incitation à la pause tranquille en terrasse. Faut une force mentale d’Iron Man pour passer son chemin. La faune ambiante, en ce milieu de matinée, est attendrissante: les pédaleurs forcenés déguisés en têtard font la pause syndicale pour descendre une pinte entre potes, loin de Mimine et des emmerdes du quotidien; les pédaleurs électrifiés se dégourdissent les guiboles parce que ça fait pas tout l’électrique, faut pédaler quand même; les p’tites familles aèrent les mioches autant que possible, dans l’espoir qu’ils écrasent tôt le soir venu.
Tiens, cours jusqu’à l’écluse si tu veux. Et puis reviens. Après t’iras courir jusqu’au parking.
Une vingtaine de bornes plus loin4, à l’entrée de Paimbœuf, le Jardin Étoilé s’offre aux badauds et aux touristes. À l’arrivée, ce n’est pas le lieu qui en impose, mais l’attroupement du moment: une vingtaine de bécanes, avec motards, motardes, top-cases et sacs de sable5. Une joyeuse bande de potes en vadrouille. Un cluster potentiel monté sur bi-cylindres et 4-cylindres. Les éclats de rire explosent en plein vol, les vannes fusent, les moteurs refroidissent un peu alors que les humains se chauffent.
Ouaip. Ça donne envie de se racheter un fer de les voir. Pas pour l’attroupement insupportable, mais pour le kiff intergalactique du filet de gaz sur le réseau routier secondaire, le cul posé sur une selle de bécane. Un jour, peut-être. Ce serait bien.
La courte grimpette sur les échafaudages déguisés du Jardin Étoilé offre une belle récompense: un point de vue Mastercard6 sur l’estuaire.
Plus l’estuaire s’agrandit, plus les cabanons de pêcheurs posés au bord de l’eau impressionnent. D’étroites coursives de bois, calées sur de frêles guiboles, les relient à la terre ferme. Tout cela tient à bien peu de choses mais offre un beau cadeau: une sensation de dépaysement. Sur l’autre rive, au loin, chantiers et raffineries rappellent la réalité économique du coin.
La pause déj’ se fera à Saint-Brévin, à près de 70 bornes du point de départ. Face au serpent de mer, qui claque gentiment sa mère. Avec les années, sa carcasse se fait marbrée, changeante, tachetée. Le bon moment et le bon endroit pour la deuxième clope.
L’après-midi — le trajet de Saint-Brévin jusqu’à Pornic — sera plus… rock’n’roll. La faute au GPS, modèle nez-au-vent-les-panneaux-j’m’en-tape. Entre les chemins de terre de vingt centimètres de large balisés par des hautes herbes, les passages sur le chemin des douaniers caillouteux à souhait et les sessions7 de portée de vélo sur l’épaule pour descendre les pentes escarpées dudit chemin, la balade a pris des allures de trekking de l’enfer pour mémé en vadrouille.
Note pour plus tard: suivre les panneaux, parfois, c’est bien. Mais sinon, c’est pas grave. C’est la régalade quand même. Mais rock’n’roll.
La petite glace chocolat noix de pécan/nutella/nappage caramel au Croisic, le cul posé au sol à l’ombre du bureau de poste8, avait la saveur de la vue sur l’estuaire au Jardin Étoilé: Mastercard. La troisième et dernière clope a la saveur d’un oinj de weed pur, un soir d’été, dans les bras d’une jolie brune à la peau sucrée.
De retour à la maison (en train depuis Pornic), la journée se termine par une conversation en deux temps.
1er temps:
— La 5 fromages, vous pouvez mettre 6 fromages?
— Bah non. C’est une 5 fromages, pas 6.
— OK-tant-pis-je-prends-quand-même.
— Dans 30 minutes, c’est bon?
— Je suis là dans 29 minutes.
2ème temps, 29 minutes plus tard:
— Vous voulez d’la sauce piquante?
— T’embête pas, ma gueule. J’ai ce qu’il faut. Merci, bisou.
— Bonne soirée!
Bilan de la journée:
Mémé va bien dormir.
C’est tout ce qu’il me restait↩︎
Au nord aussi d’ailleurs. La vie d’ma mère, c’est bien fichu.↩︎
L’heure tardive d’écriture et la fatigue avancée de l’auteur motivent également ce choix éditorial↩︎
approximation faite au doigt mouillé sans vent↩︎
Sobriquet affectueux donné par lesdits motards aux passagers et passagères. En référence à la sensation quand on transporte un passager sur sa moto↩︎
Priceless, donc.↩︎
avec un S signifiant le pluriel, donc↩︎
Ils sont sympas les bancs avec vue sur le port au Croisic, hein. Mais ils sont tous en plein cagnard.↩︎