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Musique en images 1

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il fut un temps où Youtube n’existait pas.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il fut un temps où Youtube n’existait pas. Passé lointain où la télévision diffusait des images en noir et blanc sur des écrans ronds comme des ballons. À cette époque, ce média n’était pas encore ce pathétique dinosaure agonisant qu’il est devenu. Mais c’était déjà un bon gros pachyderme institutionnel quand même, au service du pouvoir. Culturellement frileux. Tenter d’y promouvoir la création — même destinée au grand public — revenait à agiter les bras jusqu’à épuisement devant des moulins en espérant qu’ils vous laissent brasser plus d’air qu’eux. Impossible démarche, donc. Il valait mieux trouver — créer? — son propre réseau de diffusion.

Divertissement pavlovien

Depuis 1891, date de sa fondation par Mortimer Birdsul Mills, la Mills Novelty Company de Chicago conçoit, fabrique et exploite des machines à sous en tous genres. Par machine à sous, comprendre: une boîte en fer, en bois, en n’importe quoi, dans laquelle un être humain plus ou moins normalement constitué et socialement intégré glisse une pièce dans une fente et reçoit, en échange de sa modeste contribution financière, un objet ou un service sensé le satisfaire.

Pièce, cadeau.

Une forme de divertissement pour ledit humanoïde — et de rémunération pour le fabricant — sommaire mais efficace:

Pas de bras, pas de chocolat.

La première machine à voir le jour est un distributeur de cigares qui permet déjà, à l’époque, de choisir parmi différents types. Un jouissif dealer de sucettes au cancer pour tous les fumeurs de barreaux de chaise. Une pompe à pièces pour Mills qui commence alors, tranquillement, à faire fortune. En 1939, alors que le fils de Mortimer a repris depuis quelques années la pompe à fric du père, un ingénieur de la compagnie présente un projet sur lequel il travaille depuis quelques mois. L’ingénieur s’appelle Everett B. Eckland. Le projet, lui, porte le nom de Panoram.

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Il s’agit d’une grosse boîte en bois rehaussée d’un écran translucide sur lequel sont projetés des court-métrages musicaux en noir & blanc de trois minutes. Dans les entrailles du monstre, une grosse bobine de film 16mm diffuse les séquences collées bout à bout. À chaque pièce de monnaie insérée, un petit film est diffusé. Puis la machine s’arrête à la fin de ladite oeuvre audiovisuelle. Et ainsi de suite jusqu’à la fin de la bobine. La machine rembobine alors automatiquement la pellicule et patiente bien sagement qu’un autre badaud fasse sonner et trébucher son porte-monnaie en cuir véritable. C’est une grosse boîte en bois très bien élevée.

Dès 1940, alors que le Panoram n’est pas encore commercialisé, certaines sociétés de production s’intéressent déjà au Juke-box venu de l’espace. Il s’agit de rapidement produire — en quantité — des court-métrages musicaux pour alimenter la bête. C’est bien beau d’avoir une machine à diffuser des images, mais s’il n’y a pas d’images… Parmi ceux qui relèvent le défi, il y a: Globe Productions, Soundies Distributing Corporation of America et surtout RCM, qui sera leader sur ce marché. Par RCM, entendez: Roosevelt (James, le fils de Franklin D.), Coslow (Sam, auteur compositeur réputé à l’époque; il a notamment écrit pour Bing Crosby) et Mills (Herbert S., le fils de Mortimer, à la tête de la Mills Novelty Company). À elle seule, la RCM produira jusqu’à huit de ces films par semaine.


Industrie (n. f.): ensemble des opérations qui concourent à la production des richesses par la transformation des matières premières. Le tout en masse, de préférence. Quelque soit la richesse ou la matière première.


Le Panoram est commercialisé en janvier 1941 et remporte un massif succès, non seulement dans les milieux autorisés mais également dans les pièges à beaufs du type bar, boîte de nuit et autres. Deux ans plus tard, le parc compte dix mille machines réparties dans tous les États-Unis. Les gens s’amusent comme des p’tits fous avec la grosse boîte à musique aux allures de robot exterminateur; les ancêtres du clip sont surnommés soundies — tout comme la machine elle-même — par la jeunesse insouciante qui vient swinguer dans tous les lieux de réunion sociale en vogue à l’époque. Jusqu’en 1947, près de 1800 soundies seront produits et diffusés. Le jazz, les big bands, la country… Les artistes perçoivent rapidement la portée et l’intérêt d’une diffusion comme celle-ci. Des standards sont réinterprétés, les mises en scène se font clinquantes. Tout le monde a droit à son petit spectacle immortalisé sur pellicule. Tout est réuni pour que le badaud s’en prenne plein la vue, même au troquet du coin.

Cette belle réussite va être violemment giflée dans son élan par un choix diplomatique aux conséquences conséquentes: l’entrée en guerre des États-Unis. Du jour au lendemain, l’insouciance est chassée par la gravité qui ne laisse que peu de place au divertissement futile. Couplé au fait que le Panoram s’attire les foudres du syndicat des projectionnistes de cinéma qui craignent de se voir tous remplacés par une machine — la paranoïa fait des ravages dans tous les milieux — , le soundie va progressivement disparaître. À la fin de la guerre, en 1946, il en reste moins de deux mille en fonctionnement. Qui, un an plus tard, ne seront plus qu’un souvenir.

Dans les décombres naît la lumière

Au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, outre le fait que nombre de soldats américains y ont laissé quelques descendants après avoir un peu trop tâté les cuisses des Normandes, la France, comme une bonne partie de l’Europe, est en lambeaux. Amoncellement de ruines et profusion de surplus militaires en tous genres en attente de reconversion pacifiste: des vêtements pour faire son ménage, des casques à convertir en pots en fleur ou en bassine pour abreuver les bestiaux de la ferme et des machines, des voitures, des motos, des avions qui, s’ils ne peuvent être domestiqués”, sont des trésors pour les bidouilleurs de tous poils. Nécessité fait loi — autre façon de dire que l’upcycling est né dans les ruines de l’Europe. Parmi ces bricoleurs, Frédéric Mathieu, directeur de la CAMECA, Compagnie d’Applications Mécaniques à L’Électronique au Cinéma et à l’Atomistique. Ingénieur de formation, Frédéric Mathieu se dit:

Il doit être possible de faire un truc avec tous ces bidules.

Il passera des heures entières dans les hangars où sommeillent toute cette technologie de pointe, tombée en désuétude à cause de cette fichue paix qui fait passer une mitraillette pour le summum de la vulgarité. Tandis qu’il dévisse quelques boulons et triture deux trois bouts de tôle en compagnie de l’un de ses petits camarades, également ingénieur, une volute illuminée éclaire son esprit:

Et si on fabriquait une énorme boîte permettant de diffuser des petits films sur fond musical?

D’aucuns le diront: Frédéric Mathieu n’était pas la moitié d’un imbécile. Cette inspiration le guidera désormais dans les dortoirs des machines à tuer pour élaborer sa machine à divertir. Après maints désossements, il charge le coffre et la banquette arrière de sa Peugeot 203 avec de quoi refaire une guerre à lui tout seul. Ou autre chose.

Succès mondial!Succès mondial!

Dans le coffre d’abord: des caméras 16mm que l’Armée de l’Air française utilisait pour les reconnaissances aériennes à haute altitude. Après quelques manipulations, grattements de tête et frottements de menton, les deux ingénieurs — amis et frères de sang unis dans la conception — parviennent à transformer ces caméras en projecteur. Rien d’obscure dans cette inversion de fonction: le cinématographe des frères Lumière faisait en son temps office de caméra, de projecteur mais également de tireuse pour le développement de la pellicule. Le tout dans une boîte en bois de 5 kg à peine. Il semble évident que Frédéric Mathieu, pour réussir ce tour de force, a dû penser:

C’est dans les vieux singes qu’on fait les meilleurs marmites de grimace.

Malgré cette judicieuse pensée et la trouvaille qui en découle, les deux amis ingénieurs piétineront longtemps avant de progresser à nouveau. Ce n’est qu’à la fin des années cinquante qu’ils penseront à regarder sur la banquette arrière de la 203 — laissée depuis tout ce temps à l’abandon — pour en sortir les pièces qui leur permettront de mener le projet à son terme. Les principaux défis technique à relever pour y parvenir:

  • que la lampe du projecteur soit suffisamment forte pour diffuser des images claires et lumineuses — et non tristes et ternes.
  • que la machine puisse sélectionner indépendamment chaque film mais surtout, qu’elle puisse rembobiner chaque petite bobine après sa diffusion.

Les deux compères iront jusqu’à vendre leurs âmes, leurs femmes et même leurs enfants respectifs pour aboutir. Certains diront que c’est cher payé. Question de point de vue. Une autre façon de voir la chose est: ils parviennent, après bien des efforts, à mettre sur pied un prototype qui a une allure… à faire flipper un robot mutant venu de l’espace pour mettre un terme à la menace communiste: le SCOPITONE. Presque deux mètres de haut, un écran de 54 centimètres — rien de bien impressionnant, certes. Mais quelle gueule, mes aïeux!

TADAM!TADAM!

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