Société, nom féminin : fait pour un groupe d’individus de la même espèce d’établir des relations entre eux. Exemple : vivre en société.
C’est bien, les individus de la même espèce. Parfois, cependant, t’en as plein les pattes. Celles et ceux qui atteignent ce stade de saturation chargent alors leurs possessions terrestres dans le coffre d’une bagnole
et
se
cassent.
Direction : quelque part où les congénères se font rares. Au bout d’un chemin, au creux d’une forêt ou en haut d’une montagne.
Aujourd’hui, éloignons-nous un peu des sentiers usés par les individus de notre espèce.
Il y a un chemin qui traverse les paysages d’Antoine Bruy et relie les hommes, femmes et enfants dont il a retenu les visages. Long, sinueux et escarpé, il part de la ville pour mener les pas de celui qui l’emprunte loin de toute trace d’urbanité, là-haut vers les montagnes. […] altitudes et reliefs abritent ceux et celles qui ont fait le choix de construire une alternative au monde qui leur est proposé.
— Raphaëlle Stopin, Directrice du centre photographie Rouen-Normandie
Ce sont les premières phrases du seul texte qui accompagne les photos d’Antoine Bruy dans Scrublands. Des légendes, en fin de livre, fournissent des indications géographiques (finalement peu importantes) : Pyrénées, Alpes, Sierra Nevada, Montana, Colorado.
Tout ce qui pourrait ressembler à une quelconque forme d’immersion, d’étude, de reportage ou — pire — de mauvaise vidéo Youtube1 est banni.
Ne restent que les individus et leur environnement, du grand espace à la petite bricole.
Antoine a pris son temps, de 2010 à 2015, pour poser ses yeux sur ces gens.
Il a voyagé exclusivement en auto-stop.
C’est moins une profondeur politique et théorique que j’ai cherché à sonder qu’une pratique quotidienne et immédiate.
— Antoine Bruy
Il est des hommes qui se passent de la compagnie de leurs congénères. C’est un choix de vie autant que les conséquences d’un parcours.
Ces hommes-là peuvent paraître fous au regard desdits congénères. Leur hygiène corporelle laisse sans doute à désirer.
Leurs corps ne sont guère désirables, meurtris et mutilés par un mode de vie en prise directe avec leur environnement — sans filet, sans protection, sans couche molletonnée confortable. Le froid pince, le feu ravage, le métal sectionne.
Leurs vêtements tombent mal, leurs possessions ne sont que des détritus pour d’autres.
Ces hommes-là parlent peu, ou alors seuls et à voix haute. La parole est un reste, un souvenir d’une vie passée qui les a plus esquintés qu’épanouis.
Ces hommes-là sont le sujet d’Escape, le premier projet photographique de Danila Tkachenko (dont il a déjà été question par ici). Trois ans de travail pour lentement approcher ces ermites en Russie et en Ukraine. De longues enquêtes pour en avoir connaissance, les localiser, aller à leur rencontre.
À l’inverse d’Antoine Bruy Avec Scrublands, Danila cherchait moins à capter la pratique immédiate qu’à illustrer le conflit qu’il peut parfois y avoir entre l’être humain et la société dont il fait partie, et dont il s’éloigne un jour.
Nos petites vies de péquin moyen dans une société contemporaine sont faites d’us, de coutumes, de contraintes sociales et de petites hypocrisies. Il arrive parfois que tout ce cirque ne parvienne pas à combler le vide que lui-même génère.
Alors ces hommes-là envoient tout balader.
pardonnez le pléonasme↩︎