Ces temps-ci, je relis Homo Disparitus d’Alan Weisman. 300 pages ras la gueule sur l’incidence de l’humain sur Terre. Passionnant de ouf.
Et si l’espèce humaine venait à disparaitre du jour au lendemain? La cause n’a pas d’importance; l’important, c’est que l’humanité toute entière, sans exception, ne soit plus. La seconde d’avant, tout le monde est là; celle d’après, il n’y a plus personne. Tout le reste demeure: la faune et la flore, évidemment, mais aussi les routes, les voitures, les immeubles, les monuments, les barrages, les ponts, les centrales nucléaires, les fermes, les Playstation, les iPhone… Tout est là, sauf les gens. Que se passerait-il?
C’est le postulat de départ de cet essai. D’une richesse hallucinante. Imaginer le monde après notre hypothétique et brutale disparition implique deux approches:
Ce n’est pas un bouquin qui se dévore, il se grignote plutôt. Sa densité autant que la multiplicité des sujets abordés en sont sans doute les causes:
Liste non-exhaustive.
Le livre est loin d’être un recueil de suppositions farfelues. Chaque chapitre est l’occasion de comprendre un peu plus l’incidence (parfois surprenante) de l’activité des humains sur la faune et la flore, et de s’interroger sur les processus qui permettraient à la nature de digérer notre présence. C’est également l’occasion de multiplier les rencontres. Avec des biochimistes, climatologues, ornithologues, paléoécologistes, ingénieur·e·s, technicien·ne·s… avec des dizaines de personnes passionnantes et passionnées, étudiant (ou impliquées dans) tout ce qui a trait à l’impact de l’être humain sur l’environnement.
Il n’est pas seulement de question de pollution ou de réchauffement climatique. Il est question d’empreinte laissée ces dernières centaines de milliers d’années, tout comme d’incidence sur les centaines de milliers à venir.
Il est aussi question d’imbrication. Comme par exemple avec les Massaï, ces pasteurs guerriers nomades évoluant entre le Kenya et la Tanzanie. Le livre montre comment leur mode de vie nomade a contribué à assurer leur propre survie, celle de leur bétail mais aussi celles des éléphants de la région. En effet: ces derniers ont profité des arbustes poussant sur les prairies délaissées par les Massaï (et surtout tondues de près par leur bétail) pour se nourrir sans difficulté. Après le passage des éléphants ayant ratiboisé les arbustes, l’herbe poussant de nouveau, les massaï revenaient avec leur bétail et s’installaient pour une nouvelle saison, nourrir leur bétail, assurer leur survie, etc. Phénomène observé par ladite tribu qui en a tiré un adage:
Le bétail fait pousser les arbres, les éléphants font pousser l’herbe.
Dans la continuité, le livre montre comment les exploitations agricoles se développant massivement dans cette région, en réservant des espaces à des cultures exportées partout dans le monde (comme celles du café), ont réduit l’espace disponible aux Massaï et aux éléphants pour poursuivre leur ballet. De fait, contraints de se sédentariser, les Massaï se sont installés eux aussi sur des terres. Mais l’herbe se renouvelant moins (parce que leur bétail broute toujours autant), la survie de leur bétail (donc leur propre survie) est en jeu, tout comme celle des éléphants qui bénéficiaient et participaient au phénomène de renouvellement et d’alternance de la flore. Résultat de nos jours: trop de monde, trop de bétail, trop d’éléphants sur des zones de plus en plus réduites.
Imbrication, donc. Fragile. Tour à tour fascinante et terrifiante. Le café devient plus amer.
Lire ce livre, c’est prendre le risque d’accepter l’inacceptable pour notre instinct de survie: la disparition de l’espèce humaine pourrait bien être la meilleure chose qui puisse arriver à cette planète.
Aucun plastique n’est encore mort de mort naturelle.