Est-ce que j’espérais secrètement être sur la liste ? Je ne répondrais qu’en présence de mon avocat.
À cause des conversations rejouées, des souvenirs emmêlés et des battements de cœur bousculés, une liste se dresse ces temps-ci — Personnes à qui écrire. Amitiés qui datent, amours suspendues, complicités récentes. Cette liste couvre vingt-cinq ans d’une vie qui en compte un peu moins du double.
Il y a des rencontres dont on sait dès le début que ce sera plus qu’un simple passage dans sa vie.
Pour compléter cette liste, on peut choisir d’y énumérer des noms — sans équivoque — ou des périphrases. Il y en a toujours pour être de la sauce tomate sur une chemise propre. Tremper le coin d’une serviette dans un verre d’eau puis frotter n’y changera rien — on ne voit que ça.
Des personnes — parfois de la sauce tomate — à qui écrire.
Le dernier point de la liste, celui sans périphrase associée, est un cliff hanger à petit budget — un caractère. Une question en suspens.
Qui d’autre ?
Écrire à quelqu’un est encore plus laborieux qu’écrire. Chaque mot est vécu comme un galet sur une plage bretonne. C’est magnifique de loin mais dès que tu y poses le pied, tu es soudainement moins sûr de tes pas.
C’est là, après les premiers envois, que viennent en aide les premières Réponses reçues — nouvelle liste.
Comme tous les gens clichés, j’ai une citation favorite : « Le bien que l’on fait parfume l’âme ». C’est Victor Hugo qui l’a dit. Je l’ai affichée dans mes toilettes.
Celle qui attendait ça autant que toi se montre loquace. Elle parle d’un espoir secret, d’un grand auteur placardé dans ses chiottes, de ses fleurs en vase, de sa famille déglinguée, du rayon fromages de sa supérette comme de ce qu’elle a compris. Enfin, elle croit.
On fait partie de ces personnes « refuge », c’est parfois un fardeau mais c’est aussi un immense privilège. Enfin je crois.
Fais couler un filet d’eau dans un évier ; les hypersensibles du monde entier apporteront une clé anglaise pour faire sauter le robinet et laisser jaillir tout le bordel qu’ils ont dans les tripes.
Qui d’autre. Qui d’autre ?
Un curseur clignotant patiente poliment. L’angoisse de la page blanche n’est pas vraiment un problème. Celle de la tartine de merde, beaucoup plus. Pleine d’inepties à rallonge ou de fausses pudeurs. Pleine de galets sur une plage.
Se rabattre sur la liste des Réponses reçues. Pour assurer ses propres pas.
Je prends un pied monstre à essayer de faire des choses bien.
Tremper la serviette dans le verre puis frotter. Des fois que.
Qui d’autre ?
L’angoisse de la tartine de merde n’est pas vraiment un problème. Le manque de courage, beaucoup plus.
La lâcheté.
Il y en a marre, des périphrases.
Un livre est toujours une bonne planque dans ces moments-là — face au curseur qui patiente poliment.
« J’ai écrit des lettres qui sont des échecs, mais j’en ai écrit peu, je pense, qui sont des mensonges.1 »
Amy Hempel, En forme de cœur↩︎